

En visant les étudiants étrangers, les Etats-Unis pourraient se tirer une balle dans le pied
Lors de la campagne électorale, le candidat Donald Trump avait proposé de délivrer automatiquement des cartes de résident américain aux étudiants étrangers après leur diplôme, déplorant qu'ils quittent le pays pour créer des entreprises prospères en Chine et en Inde.
De retour à la Maison Blanche, le président républicain a fait un virage à 180 degrés et expose les Etats-Unis au risque d'une dramatique fuite des cerveaux.
En pleine offensive contre l'Université Harvard, qu'il considère comme son ennemi, Donald Trump a lancé une offensive inédite contre les étudiants étrangers, qui, selon les experts, risque de faire chuter les inscriptions et pourrait entraîner une fuite des meilleurs talents.
Ces derniers jours, l'administration Trump a cherché à interdire à tous les étudiants étrangers d'étudier à Harvard, l'une des institutions les plus prestigieuses des États-Unis - une mesure suspendue jeudi par une juge - et le Secrétaire d'État Marco Rubio a promis de révoquer "avec fermeté" les visas des étudiants en provenance de Chine.
Ceux-ci sont depuis longtemps le principal contingent d'étudiants étrangers aux États-Unis, même s'ils ont récemment été dépassés en nombre par l'Inde.
M. Rubio a déjà fait révoquer des milliers de visas, principalement en raison de l'implication d'étudiants dans des manifestations contre l'offensive militaire d'Israël à Gaza, mais aussi en raison d'infractions comme des violations du code de la route.
"Historiquement, les États-Unis ont la réputation dans le monde entier d'offrir un climat très ouvert pour la recherche scientifique et technique, ce qui attire beaucoup de gens, en particulier de pays qui n'ont pas nécessairement ce genre d'ouverture", déclare Phoebe Sengers, professeur en sciences de l'information et en sciences et technologies à l'Université Cornell.
Pour elle, il est certain que le nombre d'étudiants étrangers "va s'effondrer dans les années à venir".
- Universités vues comme "ennemies" -
"Le problème est que les étudiants qui auraient pu venir (aux Etats-Unis) resteront dans leur pays ou iront dans d'autres pays où ils pourront obtenir une formation technique, et ils vont y créer des entreprises et entrer en concurrence directe avec nos entreprises", a ajouté Mme Sengers.
Les universités américaines sont depuis longtemps réputées être parmi les meilleures du monde, et parmi les plus coûteuses à fréquenter.
Les étudiants internationaux qui paient la totalité des frais de scolarité sont des sources vitales de revenus, tout comme les subventions de recherche fédérales, que l'administration Trump a réduit également.
Le Département d'État a justifié sa nouvelle politique en invoquant le "vol" de technologie américaine par la Chine, tandis que M. Trump a évoqué la nécessité de créer plus de places pour les étudiants américains.
Mais le cercle rapproché de Donald Trump ne fait pas mystère de son antipathie pour les universités : elles seraient de gauche et favoriseraient les élites et les étrangers avec leurs coûts d'inscription élevés et leurs procédures d'admission très sélectives.
Dans un discours de 2021 intitulé "Les universités sont l'ennemi", le vice-président JD Vance avait annoncé la couleur.
Pourtant, il est lui-même passé de la pauvreté aux plus hautes marches du pouvoir après avoir fréquenté les bancs de la prestigieuse faculté de droit de Yale, l'une des institutions les plus élitistes du pays.
Les universités ont un poids économique majeur : les étudiants étrangers ont contribué directement à hauteur de 50 milliards de dollars dans l'économie américaine en 2023, selon le ministère du Commerce.
De nombreux entrepreneurs américains de premier plan sont des immigrants venus en tant qu'étudiants, à commencer par l'allié de Trump, Elon Musk. Environ la moitié des entreprises du classement Fortune 500 ont été fondées par des immigrants ou leurs enfants.
- "Irrationnel" -
Krishna Bista, professeur à l'Université d'État Morgan qui étudie la mobilité des étudiants étrangers, estime que l'offensive actuelle de l'administration Trump "pourrait dissuader même les candidats les plus qualifiés" de venir étudier aux États-Unis.
"Ce n'est pas juste un problème de visa, cela affecte le sentiment de sécurité, d'appartenance et de liberté académique des étudiants", a-t-il expliqué.
"D'autres pays élaborent des politiques pour recruter de jeunes talents, il est irrationnel pour les États-Unis de les repousser", dit-elle.
L'Université de Science et Technologie de Hong Kong a ainsi récemment offert des admissions accélérées aux étudiants de Harvard.
Après avoir diminué après les attentats du 11 septembre 2001 en raison de restrictions accrues sur tous les visas, le nombre d'étudiants étrangers a atteint un record mondial de 1,1 million au cours de l'année académique 2023-24, selon un rapport de l'Institut d'éducation internationale.
Mais les étudiants étrangers représentent un peu moins de 6% de la population universitaire américaine - bien en deçà de la Grande-Bretagne, la deuxième destination la plus prisée des étudiants internationaux, où le chiffre est de 25%. En France, il est de 14%.
Mais le mal est peut-être déjà fait. "Même si (toutes ces mesures) étaient annulées demain, notre réputation de société ouverte et accueillante a déjà subi des dégâts importants", estime Mme Sengers.
W.Kraus--VZ